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Mister Alto

Mister alto

Mister Alto- Roman
Mercure de France - 1998

«Mister Alto» sonne le mal d'amour
En même temps qu'il se glisse dans les chaussures cirées d'Emmanuel Bove au gré de « Carnet d'une fugue », David Nahmias nous livre son deuxième roman, «Mister Alto». Un même penchant pour l'insignifiance traverse l'œuvre des deux écrivains.
L'Antoine de Nahmias n'a pas grand-chose à envier aux personnages de Bove. Il n'est guère plus reluisant que Pierre Neuhart, par exemple. Employé au ministère de la Coopération, il entame tôt le matin la revue de presse concernant «son» ministre. Ses après-midis sont libres. Il les tue dans l'attente, de vitrine en terrasse, de jardin en carrefour.
Antoine est un peu écrivain, un peu paumé, un peu fantôme. Sans signe distinctif particulier. Un petit détail tout de même le distingue : c'est un accro du téléphone rose. A longueur de soirée, il lance des messages sur des répondeurs de charme. Ça lui vaut le plus souvent de bizarres conversations, entre mensonge et plaisir, inscrits dans la solitude de son petit appartement parisien.
Au début, ce n'était qu'un jeu conseillé par un ami. Quelques mots ajoutés aux chiffres de son numéro de téléphone, et le tour était joué. La machine à rencontres idéale pour un célibataire endurci comme lui !
Il s'y est mis, comme ça, pour essayer. Et puis c'est devenu une drogue. Depuis, tout son monde tourne autour de son téléphone, nommé Mister Alto. Toutes ses aventures passent par là. Il attend fébrilement l'appel. Le grand. Le sublime. Celui qui bouleversera sa vie.
Mais Antoine a pour habitude de passer à côté du bonheur. Autour de lui, des couples se forment. Des histoires prennent les tournures douces d'amours intenses. Et, comble du désespoir, c'est un peu à ses dépens que ces idylles naissent.
Pourquoi ? A cause de sa voix neutre et insignifiante, froide et libre de tout sous-entendu. C'est grâce à cette voix que Laure est tombée dans les bras d'Henri, un collègue. Laure, sa femme idéale, celle qu'il attendait à chaque coup de téléphone sans oser l'espérer...
David Nahmias a le chic pour rire des obsessions. Il se faufile, ironique, dans le vide des vies. L'humour pour arme fatale, il imagine des conversations de nuit pour solitaires en rade. Meurtrières affabulatrices, nymphomanes anonymes, midinettes en mal d'expérimentation, divorcée au bord de la déprime... Il offre à son personnage des interlocutrices aux désirs excentriques.
Pas chien, il lui accorde aussi une amie-amante fidèle - aussi rencontrée via de roses messageries. Mais il le laisse dans sa grisaille, seul avec lui-même et sans les armes d'un caractère original. En réalité ce n'était nullement dans l'ombre des autres que je me trouvais, mais bien dans la mienne, en vient à conclure Antoine, lucide.
Les filles qui répondent à ses annonces ont beau espérer un prince charmant, il se sait prince de l'ennui et de l'attente. Bove n'est pas loin. Nahmias et lui ont décidément plus d'un penchant en commun. Investigateurs, ils décortiquent des vies, dans leur horrible médiocrité. Nahmias a le sourire pour lui. Mais il a beau faire, le mal d'amour l'emporte. Le combat est inégal. «Mister Alto» est bien placé pour le savoir. Un roman très bien mené, au style qui fait mouche.
Pascale Haubruge,

 ‘Le Soir’ du Mercredi 3 juin 1998 – page 33